« Oh ça va, j’ai pas l’habitude »

“Every time someone steps up and says who they are, the world becomes a better, more interesting place” Captain Raymond Holt

Les mots suivis d’une astérisque (*) bénéficient d’une définition en fin d’article ♥

TW : transphobie, mégenrage, deadnaming, anxiété, cisidentité et blagues semi-qualitatives.

Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais il y a quelques temps j’ai effectué un changement assez important dans ma vie en optant pour le port de boxers plutôt que de slipes. Hihihi

Maintenant que j’ai casé le mot « slipe » et ma première blague en introduction, je peux entamer cet article très très sérieux. En Juillet 2018, j’ai annoncé ma sortie du placard en tant que personne trans, m’étiquetant désormais comme « blob avec de la vie dedans ». Ayant vécu 25 ans en étant perçu·e et genré·e comme une femme cisgenre* et avec un autre prénom que celui que je porte actuellement, je me doutais bien qu’il faudrait un certain temps d’adaptation à mon entourage proche et moins proche pour qu’elleux-mêmes procèdent à une transition dans les pronoms utilisés lorsqu’il s’agit de me désigner. J’étais prêt·e à reprendre avec bienveillance toute personne faisant une erreur, et appréhendait la perspective du mégenrage* avec anxiété, mais également avec la certitude que ce serait passager.

Autant vous dire qu’aujourd’hui, le 4 Avril 2019, je trouve ça aussi pénible que l’odeur du bousin que les voisins de mes parents étendent dans leurs champs l’été. Je vous dirais bien que ça commence juste à m’énerver, mais on sait que je suis aussi patient·e qu’un chien à qui on a promis une promenade et que je suis un petit peu au bout de ma charrue, comme qui dirait. Me voici donc ce jour afin de vous présenter l’oeuvre que j’appelle sobrement :

Les Complaintes du Travelo

En vous rappelant que l’utilisation du terme « travelo » ici est politique et s’inscrit dans une démarche de retournement du stigmate, afin de se réapproprier ce qui est au départ une insulte ancrée dans une transphobie* créée et entretenue par le système oppressif hétérocisnormatif* de notre société. Je l’utilise en tant que personne concernée car trans et qui mange de la transphobie à toutes les sauces voilà c’est tout pour moi merci bisous.

Pour ma part, ça fait onze mois que j’ai fait mon tout premier coming-out* dans la douceur sécurisante du QG. Comme je ne suis qu’à moitié idiot, j’ai annoncé souhaiter opter pour les pronoms masculins à deux ami·e·s de mon Master, conscientisé·e·s et déjà suffisamment à l’aise avec les questions de genre et de transition pour que ça se passe sans faire un pli. Peut-être avez-vous déjà commencé à tiquer ici, et je comprends. L’accès au savoir reste, et c’est à déplorer, un privilège. J’y ai eu accès parce que j’ai pu faire des études post-bac, parce que ma mère peut payer mon loyer dans une ville bourgeoise de la côte ouest, parce que j’ai accumulé un certain capital culturel qui me permet d’être sensibilisé·e à ces questions. Mon cercle social bordelais a, à 90% du temps, suivi une évolution similaire à la mienne. En gros on nous a donné·e·s toutes les cartes pour que ce soit des informations qui nous semblent simples à éponger et à mettre en pratique. C’est pas une raison pour faire n’importe quoi quand ça n’a pas été le cas. J’annonce cependant que le taux de mégenrage dans ma vie ne dépend pas des diplômes de chacun·e parce que grands dieux j’en ai eu des perles de connardasses à Bac+7. Laissez-moi vous présenter une petite liste numérotée des phrases que je ne PEUX PLUS entendre sans sortir des parpaings de mon sac pour les lancer sur les gen·te·s :

  1. « Mais euh du coup, y a quoi dans ta culotte ? » et sa variante « T’as un pénis ou un vagin ? » (Le vocabulaire se fleurissant à mesure que le niveau d’ébriété de l’interlocuteur·rice augmente)
  2. « Non mais j’ai pas l’habitude laisse-moi le temps »
  3. « Ouais fin tu ressembles vachement à une fille quand même »

Je suis assez certain·e que, lorsque vous entendez le terme « transphobie », vous allez automatiquement penser à des agressions physiques et/ou sexuelles ou encore des meurtres à l’encontre d’une personne transgenre. C’est bien normal, parce que c’est grave, là immédiatement je pense à Julia qui s’est faite agresser à Paris dimanche, mais on sait tou·te·s que ce n’est pas une exception ponctuelle mais le quotidien de beaucoup trop d’entre nous. La transphobie, ça peut être beaucoup plus insidieux, comme on l’a vu avec ma petite liste ci-dessus et comme je vais l’expliquer là maintenant tout de suite.

  • En dehors de toute considération des connaissances supposées de la personne qui me parle (si vous avez l’impression que je parle comme si je m’étais coincé·e une néo-bourgeoise dans la gorge, c’est normal, je suis en pleine rédaction de mon mémoire et j’arrive pas à arrêter d’écrire comme si j’étais en train d’être évalué·e donc soyez cool merci je vous aime), je me suis toujours demandé ce qui passait par la tête des gen·te·s qui demandent aux personnes trans ce qu’iels ont dans leur slipe. Ça m’est arrivé au Zig-Zag la dernière fois, j’y étais pépouse pour le vernissage d’un·e ami·e, et me voilà coincé·e dans une conversation – ou plutôt à écouter le soliloque interminable d’une meuf cis* – pendant laquelle on m’a demandé·e 8 fois si j’avais une vulve ou non. HUIT FOIS. Qu’on fasse encore le lien entre sexe et genre parce que c’est ce qu’on nous apprend à l’école, soit (je précise bien cependant que les deux ne sont pas intrinsèquement liés). Qu’on impose la répétition d’une question qui concerne l’intimité d’une personne qui a exprimé un refus clair d’y répondre, on dépasse le cadre de la simple ignorance pour rentrer celui d’une violence abjecte à plusieurs niveaux. Le consentement d’abord, ou plutôt le non respect de mon refus de consentir, puis cette curiosité fétichisante* malsaine à l’égard de ce à quoi peuvent bien ressembler mes organes génitaux. Je n’ai jamais entendu qui que ce soit poser la question à une personne cis de l’apparence de leur vulves ou pénis. Ça ne nous viendrait pas à l’idée d’aller voir une personne cis (en présumant que l’on connaît son identité de genre) dans un bar et de lui demander si ses petites lèvres sont plus longues que les grandes, si son pénis est circoncis ou non, bref vous voyez le tableau. Alors pourquoi se permettre de le faire avec une personne trans ? Quelle part d’humanité et quelle part de « oh trop bien on se croirait au zoo » vous nous consacrez quand vous nous voyez ?
  • Ah le temps. Il a bon dos le temps, moi je vous le dis. L’avantage de l’argument du temps, c’est que bah je peux pas le responsabiliser ni lui crier dessus. Le temps est un concept, étirable à l’infini (je vous rappelle que bon, à un moment on meurt quand même donc abusez pas non plus) et qui permet à qui sait l’utiliser de se complaire dans une situation confortable qui évite de faire de quelconques efforts. N’est pas visée ici une personne dans la situation de ma maman par exemple, pour qui il va falloir déconstruire 25 ans de projection sur son enfant qu’elle a eu et vu grandir comme une fille, à qui elle a donné un prénom que je n’utilise plus et pour qui il a été difficile d’accepter que je n’incarnais pas la projection de sa volonté d’avoir une fille. Là c’est particulier et c’est une situation qu’on va gérer autrement, ensemble. N’est pas visée non plus toute personne m’ayant connu pré-transition et m’ayant, jusqu’en Juillet dernier, toujours genré au féminin et qui fait encore une bourde de temps à autre. Je suis pas idiot, moi aussi des fois je fais encore des erreurs, on n’est pas des robots, pas de problème. Ce que j’aime pas trop, c’est cette utilisation du « j’ai pas l’habitude ». Avant de commencer à boire deux cafetières par jour moi non plus j’avais pas l’habitude d’avoir des brûlures d’estomac et je me suis adapté·e, et je peux vous dire que c’est bien plus relou que de faire l’effort de réfléchir et de respecter l’identité de genre* de quelqu’un·e en utilisant les pronoms adéquats. Le problème avec cette excuse, c’est qu’elle est énoncée avant même d’avoir ne serait-ce qu’une fois utilisé le bon accord. Le temps, il peut pas apprendre à votre place. Il peut pas faire les efforts ni réfléchir à votre place. Il vit sa vie, il passe et il passe vite, sauf dans le cas où à chaque fois que l’on se rencontre, vous me genrez au féminin. Ça rend les situations sociales pénibles et difficiles de me faire réassigner à chaque occurrence à un genre que je n’ai pas choisi, à un genre qui ne me convient pas, à un genre qui me met mal à l’aise. Être perçu·e comme une femme en société, c’est pas agréable comme moi. Je préfère être perçu·e comme je suis, une boule d’amour sans identité bien définie. On a bien été capable d’apprendre des équations à deux inconnues en seconde, et le niveau de difficulté me semble bien supérieure à celui de respecter l’identité d’autrui !
  • Je vais pas m’étaler sur ce dernier point puisque j’ai déjà énoncé les problématiques de ce raisonnement juste au dessus. J’ai une expression de genre* incertaine, qui fluctue en fonction des jours et des semaines. Me dire que je ressemble à une fille, c’est me rappeler que je ne ressemble pas à qui je suis. C’est me balancer dans le visage des tensions que je vis déjà au quotidien, en interne. C’est aussi vous trouver des excuses pour ne pas faire le travail de dissocier ce que vous voyez de ce que vous savez. C’est me rappeler que même avec mon binder* sous ma polaire Quechua, même avec mes cheveux rasés et ma vocalisation constante de mon besoin d’utiliser des mots accordés au masculin, vous choisissez de donner plus de légitimité à la structure biologique dans laquelle mon corps existe, structure qui ne prévaut pas et ne prévaudra jamais sur la structure sociale dans laquelle moi, il m’est plus confortable d’évoluer.

J’ai toujours pas l’intention de démarrer une transition hormonale, chirurgicale, médicale. J’ai accepté mon corps comme étant le mien, et plus comme un corps de femme. Je vis mes épisodes de dysphorie seulement quand je sors des espaces safe que je traverse… C’est-à-dire tout le temps. Les structures que je traverse comme les institutions, les espaces publics, les lieux de sociabilisation me rappellent chaque jour que ma réalité de personne non-binaire* ne se projette nulle part ailleurs, hormis les caves et autres lieux souterrains dans lesquels il est bien plus simple de se sentir à l’aise (sauf quand y a des cishets des Beaux-Arts qui crient et qui nous renversent de la bière dessus pendant les concerts, ça c’est naze) car je suis entouré·e de personnes qui elles aussi ne peuvent et très franchement ne veulent plus trouver leur place dans la norme. Si mes troubles anxieux* n’ont jamais été aussi exacerbés que depuis que j’ai entamé cette transition sociale – car une transition n’a pas besoin d’être médicalisée pour être légitime – c’est également la première fois que je suis entouré·e d’autant de personnes qui me soutiennent, qui sont à l’écoute, qui m’apportent tant d’amour et de bienveillance que finalement, la vie ne semble plus aussi nulle, juste « meh ». Je sors encore moins qu’avant parce que j’ai peur de retomber sur une Laura qui va fantasmer sur ce que contient mon slipe, parce que j’ai plus la force d’essayer d’éduquer des gens sur ce que sont les transidentités* et que ça finisse par me faire pisser dans un violon, parce que j’en peux plus d’être fatigué·e d’exister.

Chaque transition est différente, unique, personnelle et intime. Qu’elle soit binaire ou non, qu’elle implique une opération de réassignation ou non, elle n’implique et ne concerne que la personne qui la vit. Une ancienne collègue, une femme cis et hétéro, m’avait dit que, comme je n’avais entamé aucun process médical, je ne transitionnais pas vraiment. C’est comme si j’allais voir le fermier d’à côté et que je lui disais que ses vaches sont pas des vraies vaches parce qu’elles sont pas comme celles que j’ai vu dans la pub E.Leclerc à la télé. Où va le monde franchement je vous le demande. A chaque fois que je sors, je me mets en danger parce que je dis qui je suis. Ça me fout une trouille pas possible, mais je me dis que peut-être que ça peut créer une impulsion, un environnement plus tolérant et capable d’accepter l’inconnu, pour rendre le monde plus beau pour mes sœurs, mes frères et mes adelphes* qui ont tout aussi peur que moi. Je ne veux plus qu’on ait peur d’être qui on est parce qu’on nous a trop répété·e·s que notre existence était une pathologie, quelque chose de monstrueux dont on devrait avoir honte. La seule honte qui me suivra toute ma vie c’est d’avoir passé tant de temps à être un·e fan inconditionnel·le de Saez. Ça je vous le dis, je m’en remettrai jamais.

Petit lexique des familles :

  • personne cisgenre : personne qui se reconnaît dans le genre assigné à sa naissance. Exemple : Raphaël Enthoven est un homme cisgenre.
  • mégenrage : action volontaire ou non d’utiliser un genre autre que celui auquel la personne s’identifie. Exemple : quand vous m’appelez « madame » ou que vous utilisez « elle » pour parler de moi, c’est du mégenrage et c’est très violent.
  • transphobie : discrimination et oppression institutionnalisée (c’est-à-dire perpétuée par des institutions comme l’Etat, l’école et la famille) envers les personnes transgenres.
  • hétérocisnormativité : système social ancré dans le patriarcat qui dicte comme normes (soit « comment bien se tenir en société ») l’hétérosexualité et la cisidentité.
  • coming-out : pouvant être traduit littéralement par « sortir du placard » en français. l’abréviation CO est aussi communément utilisée.
  • cis : abréviation de « cisgenre ».
  • fétichisation/fétichiser : action de considérer une ethnie/une identité de genre/une orientation sexuelle/une variation des caractères sexuels d’une personne comme un objet de curiosité et de désir excessif, problématique et oppressif.
  • identité de genre : l’identité de genre est une construction sociale, en opposition avec le sexe qui est une donnée biologique de l’individu. L’identité de genre renvoie au genre auquel la personne s’identifie : non-binaire, genderfluid, femme, homme, etc.
  • expression de genre : renvoie aux codes vestimentaires ou corporels d’une personne et n’est pas forcément en corrélation avec l’identité de genre de la personne. Exemple : je porte une robe, mon expression de genre va être identifiée comme féminine, pour autant je reste une personne non-binaire, soit : pas une femme.
  • binder : vêtement fait de nylon et de spandex et qui permet de comprimer les seins pour donner l’illusion d’un torse plat. Il est majoritairement utilisé par les personnes assignées femmes à la naissance pour aider à soulager une dysphorie corporelle.
  • non-binaire : terme parapluie (également utilisé comme définition d’une identité de genre à lui tout seul) qui regroupe des identités de genre qui sortent de la binarité femme/homme.
  • troubles anxieux : trouble de la santé mentale qui affecte la gestion de l’anxiété de la personne qui a ce trouble, avec la présence de cauchemars, crises d’angoisse, des difficultés de concentration et des tremblements (pour ma part, et entre autres)
  • transidentités : autre terme pour désigner les identités des personnes transgenres.
  • adelphe(s) : terme non-genré qui désigne les personnes qui ne sont ni des hommes, ni des femmes (et bien plus joli que « blob », oui).

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